Un sujet de réflexion…
La musique, le théâtre et la danse au service des églises ?
J. Hoffmann
Des faits significatifs
De plus en plus d’églises, d’assemblées et de mouvements évangéliques ont recours aux mimes, pantomimes, marionnettes, sketches, à la chorégraphie, au théâtre, à la danse et jusqu’à la musique rock, non seulement pour évangéliser, mais aussi pour animer cultes et réunions. C’est ainsi que certains cultes évangéliques commencent par des mimes dont les acteurs sont déguisés ou masqués. Ailleurs on chante et danse pendant le culte, la prédication de la Parole de Dieu étant réduite au minimum, quand elle n’est pas totalement absente. La soi-disant louange est dirigée par un groupe de musiciens et l’on parle de concert de prière et de ballet d’adoration ! On ne s’étonne plus guère de trouver dans tel journal évangélique des annonces du genre :
« Vends batterie acoustique 5 toms + accessoires + boîte à rythmes. Pour animer culte… »1
Dans une autre publication évangélique2, où il fut question du Festival Séphora (Bourg-en-Bresse, Pentecôte 1989), auquel ont participé 3000 jeunes et des dizaines d’artistes, il était dit : « On n’hésite plus à s’exprimer par la danse, une musique branchée, la bande dessinée, la peinture, le mime, le théâtre et la vidéo, pour interpeller notre société sécularisée. On a enfin compris que la bonne volonté, le zèle et quelques prières ne suffisent plus pour focaliser le regard de notre génération sur toute la dimension du salut par et en Jésus-Christ. »
Mais, si la bonne volonté, le zèle et quelques prières n’ont jamais suffi pour transmettre l’Evangile, la musique branchée, la danse et le théâtre n’y suffiront pas davantage. Le problème se situe ailleurs, et nous y reviendrons. Le même auteur ajoute : « Le Festival Séphora stimule les jeunes chrétiens à rejoindre notre société par les moyens qui favorisent et provoquent le dialogue… Ceci entraînera inévitablement la formation et l’accompagnement d’une nouvelle génération d’envoyés. Tel un domino, c’est toute la filière “formation-action” de nouveaux missionnaires qui en répercutera les effets”. Mais cette filière dans le vent ne risquera-t-elle pas plutôt de faire tomber cette nouvelle génération d’envoyés, tel un domino, dans le piège d’un stérile conformisme au monde ? Dans le même article nous lisons heureusement aussi ces propos plus réalistes : « Ce n’est pas en jouant le visage peinturluré “L’Arche de vie” en pleine zone sahélienne que l’on fera refleurir le désert, et des accords de musique rock ne sauveront pas une femme lors de son accouchement difficile ! L’ingénieur agronome et la sage-femme ne pourront pas être remplacés par un comédien professionnel ou un guitariste, fût-il le plus doué du monde. »
Même au 2e Congrès Inter-national sur l’Evangélisation du monde (Lausanne II, à Manille, juillet 1989) des artistes internationaux devaient animer les moments de louange, d’adoration et de témoignage par la musique, le théâtre et la danse3. Les milieux réputés évangéliques s’imaginent avoir de plus en plus besoin d’artistes, de comédiens, de chorégraphes, pour animer et vivifier leurs rassemblements et pour accomplir leur mission dans le monde. On veut dire la vérité à la manière des bouffons !4
Essai de justification
On parle maintenant d’arts rédemptifs5 et l’on cherche à mettre les gestes prophétiques de l’Ancien Testament et les paraboles racontées par Jésus en parallèle avec les jeux scéniques chrétiens contemporains pour les faire accréditer par les évangéliques encore hésitants face à cette nouvelle mode. On reconnaît toutefois que les chrétiens des premiers siècles n’ont jamais fait usage de l’art théâtral de l’époque pour proclamer l’Évangile ; qu’ils y ont même été formellement opposés. Parmi d’autres, Tertullien (155-230) avait qualifié l’expression théâtrale d’Eglise du diable6. Ce n’est qu’au Moyen-Age qu’on y eut recours dans les célèbres Mystères, ces scènes religieuses qui se jouaient sur les parvis des églises.
Ceux qui, par ailleurs, se réfèrent à l’Ancien Testament pour chercher dans le rituel mosaïque et dans le Psautier la justification de l’utilisation de batteries, de cymbales, d’instruments à cordes et de trompettes pour animer leurs cultes, ignorent ou oublient la spiritualisation qu’ont subie de la part de Jésus et des apôtres les éléments du culte juif. Temple, prêtres, vêtements sacerdotaux, sacrifices, circoncision, fêtes, cérémonies, etc. ont été les ombres des réalités spirituelles accomplies en Christ (Col 2:17). S’il est vrai que du temps du roi David il y eut des chantres accompagnés d’instruments de musique, seule la pratique du chant semble avoir été retenue dans les églises primitives comme un des éléments notables du culte (Eph 5:197 ; (Col 3:16). Encore faut-il ajouter qu’il ne s’agissait certainement pas d’art vocal et de virtuosité auxquels on consacre souvent aujourd’hui plus de temps et d’efforts qu’à la prière et à l’étude de la Parole de Dieu. L’apôtre Paul fait mention du chant de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, ce qu’on a continué de pratiquer à travers tous les siècles et qui n’avait sans doute rien de commun avec les chansonnettes et les rengaines tant en vogue de nos jours dans bien des milieux.
On comprend que, pour l’évangélisation des enfants, on utilise certaines méthodes mnémotechniques et des chants correspondant à leur âge, mais ne transformons pas les cultes en écoles du dimanche en traitant des chrétiens adultes comme s’ils étaient retombés en enfance ! Plutôt que du lait, les chrétiens auraient besoin de nourriture solide pour devenir capables de mieux distinguer le bien du mal et le vrai du faux (Hébr 5:11-44). Mais beaucoup ne supportent pas la nourriture solide : même après de nombreuses années de vie chrétienne (1 Cor 3:2), ils raisonnent et parlent encore comme des enfants. Ils en sont restés au biberon et aux jeux, négligeant ou refusant d’entendre et de lire ce qui pourrait les sortir de cet état. Evitons toute propension à l’infantilisme !
Pourquoi ces innovations dans les églises ?
Qu’est-ce qui a donc pu motiver l’introduction de ces innovations et créer cet engouement pour des jeux et des pratiques considérés pendant longtemps comme incompatibles avec la prédication de l’Evangile ? Une baisse du niveau spirituel des chrétiens et la constatation que les églises se vidaient tandis que les lieux de réjouissance se remplissaient. En Hollande, en l’espace de vingt ans, deux mille temples et églises ont fermé leurs portes. Plusieurs sont devenus supermarchés, discothèques, salles de jeux ou d’exposition, piscines, etc. On constate en bien des lieux un évident désintéressement pour les choses de Dieu et un besoin grandissant de distraction, même parmi ceux qui se disent chrétiens évangéliques. On a voulu freiner l’exode et essayer de regagner le terrain perdu en s’inspirant de ce qui réussit si bien dans le monde. Alors on amuse le public, cherchant à l’épater et à l’appâter avant d’en venir aux choses sérieuses, si toutefois il est encore possible d’y parvenir dans un tel contexte. Nous pensons que les questions spirituelles ne s’abordent et ne se traitent pas ainsi.
L’aspect prophétique
La Bible a bien annoncé que dans les derniers temps les hommes seraient irréligieux, insensibles, aimant le plaisir plus que Dieu, ayant l’apparence de la piété mais reniant ce qui en fait la force (2 Tim 3:1-5). Cette désaffection n’a donc rien d’étonnant pour quiconque se souvient que le Seigneur lui-même avait un jour demandé s’il trouverait de la foi sur la terre quand il reviendra (Luc 18:8). Cela ne doit évidemment pas nous faire oublier l’ordre reçu de prêcher l’Evangile à toutes les nations. Ne soyons toutefois pas surpris si la Parole prêchée fidèlement et sans fioritures ne trouve pas le retentissement souhaité, car il était prédit que viendrait “un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine, mais, ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs et détourneront l’oreille de la vérité…” (2 Tim 4:3-4). Il n’est pas annoncé de réveil mondial qui ferait de l’humanité le peuple de Dieu et de la terre un royaume uni de paix et de justice à la réalisation duquel travaillent présentement les puissants de ce monde et les “grandes” Eglises. L’apôtre Paul dit à ce sujet : “Quand les hommes diront : ‘Paix et sûreté !’ une ruine soudaine les surprendra” (1 Thess 5:3). Ce n’est qu’après l’avènement du jour de Dieu et la destruction par le feu de la terre et des cieux que paraîtront de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera (2 Pi 3:12-13). Sans être fatalistes, nous devons admettre ce que dit l’Ecriture et ne point nous bercer d’illusions. “Il faut que l’apostasie (l’abandon) soit arrivée auparavant” (2 Thess 2:3).
Un autre évangile
Il nous faut aussi reconnaître que l’évangile que l’on prêche en maints lieux n’est pas l’Evangile du Salut par la foi en Jésus-Christ crucifié et ressuscité pour nous. Le modernisme théologique a sapé les fondements de la foi chrétienne, même là où il a conservé un vocabulaire biblique. Le pluralisme théo-logique a fait admettre l’erreur à côté de la vérité au nom de la charité, de la tolérance et de l’acceptation mutuelle. Ailleurs encore on a réduit l’Evangile à un message socioculturel humaniste dans lequel il n’est plus question de péché de repentance, de conversion et de régénération dans le sens biblique des termes. La théologie libérale a mis en doute la véracité de l’enseignement biblique en ouvrant la porte au scientisme athée – ou théiste – à commencer par les premières pages de la Bible (la Création) et jusqu’à l’annonce du retour personnel du Christ et de la gloire à venir.
Un évangile au rabais
On prêche aussi dans bien des milieux un évangile au rabais, l’évangile de la prospérité, du succès, de la guérison de toutes les maladies, sans exigences spirituelles, sans souffrances, un évangile adapté à la mentalité du monde. Cet évangile bon marché produit des chrétiens (?) légers, superficiels, intéressés et vite déçus, s’ils n’obtiennent pas tout ce qu’on leur a promis. Ils introduisent dans les églises leurs goûts, leurs manières, leurs procédés, en un mot la mondanité. C’est l’évangélisation à rebours, ou la mondanisation des églises qui deviennent toujours plus larges, plus ouvertes à tous les courants et à toutes les nouveautés, heureuses d’avoir réussi à subsister, et peut-être même à augmenter en nombre, alors qu’elles sont rongées de l’intérieur par le mal qu’elles y ont laissé pénétrer.
Des supports à la Parole de Dieu ?
On a cru que, de nos jours, la Parole de Dieu n’avait plus l’impact d’autrefois, et qu’il fallait lui donner des supports pour la rendre plus attrayante et plus accessible à nos contemporains habitués aux décors, à l’image et à la publicité tapageuse. Il s’agirait d’un phénomène culturel dont il fallait tenir compte, si l’on voulait retenir les chrétiens d’avant-garde et gagner les gens du dehors. On a donc voulu imiter ce qui se fait dans le monde des affaires et des loisirs, appliquant ces procédés à l’œuvre du Seigneur en comptant sur l’effet que produisent chanteurs, musiciens et comédiens, et on a réussi à attirer des jeunes – et des moins jeunes – friands de sensation, de nouveautés, de décibels et du merveilleux. On a créé l’ambiance en chauffant l’auditoire-spectateur par des attractions et des distractions, utilisant les techniques et les tactiques de la psychologie moderne pour provoquer l’enthousiasme et des décisions qui sont souvent sans lendemain, parce qu’elles ne sont pas le fruit d’une mûre réflexion et d’une profonde conviction produites par le Saint-Esprit. Le succès de ces succédanés du Saint-Esprit a fait croire à l’efficacité de ces nouvelles méthodes. Nous savons, bien-sûr, que la Parole de Dieu n’est pas liée et que Dieu demeure souverain, aussi, n’avons-nous pas à nous prononcer sur les résultats effectifs qui dépendent du divin Maître. Il peut sauver de toute manière, même là où les conditions ne sont apparemment pas favorables. Nous constatons simplement qu’au lieu de s’attaquer à la racine du mal, on panse souvent à la légère la plaie du péché (Jér 6:14). Il en est qui confondent trop facilement enthousiasme passager et vie nouvelle, décision humaine et nouvelle naissance, conditionnement sentimental et œuvre du Saint-Esprit. Les supports artificiels dont on munit la Parole de Dieu faussent les résultats et créent des illusions.
Mais que dit l’Ecriture ?
En annonçant l’Evangile, l’apôtre Paul n’a pas fait usage de discours persuasifs de la sagesse (1 Cor 1:17 ; 2:4), ou d’une supériorité de langage (1 Cor. 2:1) pour gagner les foules. Il n’a pas eu recours à la ruse (1 Thess 2:3) ou aux astuces (2 Cor 4:2), pas plus qu’il n’a cherché à plaire aux hommes (Gal 1:10), ou à détenir la vedette, pour faire progresser l’œuvre du Seigneur. En tout ce qu’il a dit, fait et écrit, il n’a jamais essayé de piéger les âmes pour provoquer des décisions, il les a plutôt portées vers ce qui est bienséant et propre à les attacher au Seigneur sans diversion ou distraction (1 Cor 7:35). Il savait quel danger présentaient les divertissements joints aux célébrations cultuelles et rappela aux Corinthiens le cas des Israélites qui, après avoir offert des sacrifices d’actions de grâce, s’assirent pour manger et boire, puis se levèrent pour se divertir (Ex 32:6 ; 1 Cor 10:7). C’est que les Corinthiens étaient tombés dans une aberration semblable en profitant du repas du Seigneur pour faire ripaille, méprisant ainsi I’Eglise de Dieu. Que dit l’Ecriture ? “La foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la Parole de Christ” (Rom 10:17) et encore : “Nous marchons par la foi et non par la vue” (2 Cor 5:7), ou les sentiments, qui doivent toujours être soumis au jugement de la Parole de Dieu (Héb 4:12). Paul n’a donc jamais cherché à enrober son message ou à dorer la pilule pour la faire mieux avaler. Il n’a pas voulu savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Cor 2:2), même si cela était perçu comme un scandale par les Juifs et comme une folie par les païens (1 Cor 1:23). Il n’a rien entrepris pour atténuer cette impression et rendre sa prédication plus suave et, par là, plus acceptable.
Les rencontres des premiers chrétiens furent vivantes, et leur témoignage béni sans l’appui de productions théâtrales, de récitals, de festivals, de danses, de chanteurs-vedettes et de comédies musicales. Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières (Act 2:42) en annonçant la Parole de Dieu avec assurance (Act 4:31). L’amour mis en pratique sans hypocrisie (Rom 12:9), la discipline exercée à l’égard de ceux qui se conduisaient mal ou qui professaient de fausses doctrines, le pardon accordé à ceux qui se repentaient, le secours apporté à ceux qui passaient par l’épreuve, les maintenaient unis dans le bon combat de la foi. Ils n’étaient qu’un cœur et qu’une âme (Act 4:32) aussi longtemps qu’ils marchaient ainsi ensemble, et ce témoignage vécu fut le plus beau des spectacles. Il eut un effet positif sur leur entourage, puisqu’ils trouvèrent un accueil favorable auprès de tout le peuple (Act 2:47), sans mise en scène, sans travestissement, sans fard ni fanfare. Certes, il n’en fut pas toujours ainsi. Il arriva aussi qu’on se moqua d’eux, qu’on les menaça de mort et qu’ils furent obligés de prendre la fuite. Mais tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle crurent (Act 2:48) et furent ajoutés à l’Eglise, parce que le Saint-Esprit était à l’œuvre.
Conclusion
Les meilleurs supports de l’Evangile et de l’évangélisation s’avèrent donc être les enfants de Dieu qui prouvent par leurs actes que leur repentance a été sincère et qui marchent d’une manière digne du Seigneur (Matt 3:8 ; Col 1:10), rejetant toute forme de méchanceté, toute hypocrisie, la jalousie et les bavardages malveillants (1 Pi 2:1). Ceux-ci n’auront besoin ni de clairon, ni de tambour pour se faire prendre au sérieux lorsqu’ils rendront témoignage de leur foi au Seigneur, parce que le Saint-Esprit agit toujours là où la Parole de Dieu est annoncée avec fidélité et honorée par la vie des croyants.
“Ce n’est ni par la puissance, ni par la force, mais par mon Esprit, dit l’Éternel” (Zach 4:6).
Jean Hoffmann
La Bonne Nouvelle 2/1990
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